Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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"Le Coffe aux âmes", roman du Professeur David Khayat


Le "Coffre aux âmes", paru aux Editions XO le 2 avril 2002, a été écrit par le Professeur David Khayat, cancérologue de renommée internationale, chef de service à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, fondateur du sommet mondial contre le cancer, à l'origine de la Charte de Paris contre le cancer. Dans ce "thriller médical" haletant s’affrontent la science et le sacré. Le "coffre" est un "container" spécial pour le transport d’organes, sorte de glacière dans laquelle les équipes chirurgicales de prélèvement d’organes qui officient le plus souvent en pleine nuit déposent le ou les précieux organes et tissus récupérés sur des morts "à cœur battant". La transplantation d’organes, c’est la migration des âmes qui se passe de nuit au bloc opératoire, tandis que quelqu’un est en train d’y mourir alors que dans un service voisin du même hôpital, un autre malade condamné par les médecins va pouvoir rester de ce monde grâce à l’âme supplémentaire dont il va pouvoir bénéficier. Le patient donneur d’organes est entré au bloc avec des organes encore viables. Ses organes sur le point d’être prélevés sont comparés à une âme entamant un processus de migration d’un corps à l’autre. Ce patient, dans le livre du Professeur Khayat, est d’ailleurs une femme enceinte. Est-ce pour nous rappeler que tout médecin qui s’occupe d’un patient en train de décéder a charge d’âme ?

Or donc, voici qu’à nouveau, une femme enceinte est en train de décéder de cette mort mystérieuse, ou "mort bleue" qui sévit dans le roman. Cette mort bleue n’est pas sans analogies avec la mort encéphalique, dite "mort invisible" car le patient en état de mort encéphalique semble simplement dormir : son corps est chaud et il respire, mais son cerveau est détruit. Cette Hélène, la femme enceinte du roman, n’est autre que l’épouse du médecin héros de l’histoire ! Elle porte son enfant. Autant dire que la lutte qui va opposer le Dr. David Levine, tentant de sauver sa femme et son enfant à naître, et le prestigieux Professeur Michael Bishop, qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation pour sauver ses patients condamnés, va être sans merci. Ce Professeur Bishop, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’hôpital St Thomas de New York, lauréat du grand prix de l’Académie mondiale de médecine, pratique donc des prélèvements d’organes sur donneurs décédés de la mort bleue, pardon, en état de mort encéphalique. Mais cette cause de décès, la mort bleue, ne serait-elle pas plutôt la résultante du prélèvement d’organes ? Dans le livre, la mort bleue n’apparaît chez les patients qu’une fois que leur âme a migré dans le corps d’un autre patient… Invisible ou à peine visible au début du processus qui conduit de la mort encéphalique au prélèvement d’organes (seuls les orteils d’Hélène sont bleus), la mort devient visible une fois le prélèvement réalisé. La mort bleue, c’est ce qui reste une fois que le donneur en état de mort encéphalique a été prélevé. Cette mort bleue s’étend alors sur tout le corps. C’est cela qui menace Hélène ! A tout prix, le Dr. Levine doit parvenir à stopper cette migration des âmes qui va être fatale à sa femme et à son enfant à naître. Quel est le devoir du médecin face à un patient mourant ? Ce médecin doit-il, à l’instar du Professeur Bishop, voler la mort de son patient afin que d’autres puissent bénéficier d’organes viables ? C’est la question que pose le "Coffre Aux âmes". Ce livre "met en lumière les enjeux d'une médecine qui repousse toujours plus loin la mort".

Claire Boileau, infirmière et anthropologue, a écrit en 2002 un ouvrage intitulé : "Dans le dédale du don d’organes : le cheminement de l’ethnologue", aux Editions des Archives Contemporaines. Citons un extrait de ce livre. Nous sommes à la fin des années 70, dans le contexte de la loi Caillavet, qui a précédé la loi de bioéthique de 1994. La loi Caillavet, adoptée en 1976, a mis en place le consentement présumé en France : "Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement (…)".

[Claire Boileau, ouvrage cité, p.55-56 :] "A l’interface entre les familles et les équipes médicales, plusieurs soignants se souviennent des stratégies auxquelles ils avaient recours, partagés entre le devoir professionnel, la volonté de participer à de futures greffes et la culpabilité de ne pas informer les familles : ‘On jouait à cache-cache avec les familles. Je me rappelle un débat là-dessus lors d’un colloque. On a commencé à en parler, c’était en 92 ou 93. C’était pas forcément bien vécu par tout le monde. Je me rappelle d’une fille très choquée par ça. Il fallait prélever en souhaitant que personne de la famille ne revienne... Evidemment, ça créait un malaise. On avait l’impression d’être voleur. Un infirmier se sentait très mal à l’époque. Il disait qu’il sentait une résistance même derrière la porte… Maintenant il est beaucoup plus à l’aise’, dit une infirmière.
L’une de ses collègues se souvient aussi : ‘il y a eu des cas vraiment gênants… Je vois encore la grand-mère expliquant à sa petite-fille que le cœur de sa maman était monté au ciel et … on venait de l’envoyer pour une greffe’. ‘C’était affreux’, conclut un infirmier qui travaillait dans le secteur à cette époque. ‘Une fois, il a fallu retarder la famille par tous les moyens. On avait commencé à prélever… on n’était pas fiers… ça non. Là on s’est dit : plus jamais ça.’ (...) Le consentement présumé du défunt et, de surcroît, entériné à l’insu des familles pouvait-il ou devait-il durer ? Etait-il légitime de tenir secrètes des pratiques qui, certes, avaient pour finalité de sauver autrui, mais qui s’appuyaient néanmoins sur le consentement par défaut du défunt et sur l’ignorance de la famille ?" Copyright 2002 CPI (Contemporary Publishing International)


Revenons au livre du Professeur Khayat : le Dr. Levine doit empêcher le détournement des âmes de sa femme et de son enfant à naître au profit d’autres petits patients leucémiques qui sont en train de s’éteindre dans un service voisin, au sein du même hôpital. Il s’agit de sa femme et de son bébé ! Les perspectives des deux parties, celle de Bishop et celle de Levine, sont-elles conciliables ? Dans "Le Coffre aux âmes", l’âme est plurielle, tout comme les organes transplantés, les consciences et les intérêts. La science et le sacré s’affrontent, pour la plus grande surprise du commun des mortels qui lit ce livre et qui n’a jamais assisté à un prélèvement d’âmes, pardon, d’organes.

Que contient la boîte de Pandore d’un grand hôpital New-Yorkais à la pointe de la technologie ? En ouvrant cette boîte, David Khayat nous révèle les arcanes majeurs et mineurs des plus grands services d’hématopédiatrie et d’obstétrique au monde, à St Thomas Hospital, New York. On s’attend à voir les démons de la science et les dieux ou demi-dieux de la religion s’entre-tuer, le Bon Dieu tirer le diable par la queue, "un thriller médical haletant", genre mystique. Au St Thomas Hospital, un toubib et sa femme se transforment en Orphée et Eurydice, un chef de service mondialement réputé en bonze tibétain pour le meilleur et pour le pire. Entre un médecin qui vendrait son âme aux diables de la réincarnation (son âme, donc celle des autres) pour vous guérir, et un autre qui accompagne, soulage et guérit sans outrepasser les limites du progrès technique, médical et humain contemporain, ne seriez-vous pas un tout petit peu tenté(e) de choisir le premier ? Si c’est le cas, ouvrez donc la boîte de Pandore, celle du "Coffre aux Ames". Un homme de science s’empare de la religion et des mythes indo-européens comme un dictateur le ferait du pouvoir lors d’un coup d’Etat. Le Professeur Bishop, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’Hôpital Saint-Thomas, après un séjour dans un monastère secret sur les pentes de l’Himalaya, se transforme en machine infernale à sauver pour venger la mort des deux êtres qui lui étaient les plus chers. "Meurs et deviens". Tandis que la Mort Bleue, ou Syndrome de Steiner, sévit dans le service d’obstétrique, des enfants leucémiques condamnés à une mort imminente sont mystérieusement sauvés in-extemis dans le service voisin, celui d’hématopédiatrie. Un couloir sépare les deux services. Le Docteur Levine, jeune interne ayant travaillé dans les deux services et autant de dettes envers les morts (son meilleur ami) qu’envers les vivants (sa femme), va devoir élucider le mystère de la Mort Bleue. Le Centre for Disease Control de New York, le gardien du Coffre des Ames, les religions judéo-chrétiennes, le médecin "qui est là pour vous guérir, quels qu’en soient les risques, quel qu’en soit le prix"... Entrez dans la prestigieuse Fondation Greenspan dont les chefs de service sont les grands prix de l’Académie Nationale, et voyez comme ils ont charge d’âmes.

Les âmes migrantes, qui sont en réalité les organes que l'on transplante, passent du corps du donneur à celui du receveur. Le rabbin qui assiste à cet étrange processus est dépassé, il s'enfuit sans s'expliquer ou presque. Résignation (démission ?) de la religion ? Celle-ci ne préfère-t-elle pas idéaliser la médecine et se contenter de prôner la solidarité et la générosité, plutôt que de regarder en face ce qui arrive, quand "la médecine repousse toujours plus loin la mort" ? Laissé seul, le médecin se débattrait dans ces zones grises de l'éthique médicale... Dans l'extrait cité ci-dessous, un rabbin arrive au bloc opératoire. Il y a été amené par le Dr. David Levine, alors en plein désarroi car il a déjà découvert sur le corps de sa femme reposant inconsciente les premières atteintes de la mort bleue – pis encore, celles-ci menacent de s’emparer de tout le corps d’Hélène !

[pp. 258-260 :] "Il enleva doucement son chapeau et son manteau, les posa sur une paillasse, sortit un livre de prières de sa poche et se mit à lire les bénédictions rituelles. Il chantait d'une voix grave. Sa prière suppliait Dieu tout-puissant de protéger les âmes de ceux qui allaient le rejoindre. Il priait la gorge serrée par l'angoisse et ses prières n'en étaient que plus émouvantes. Personne dans la pièce n'osait bouger. Les infirmières avaient reposé les perfusions qu'elles préparaient (...). Puis le rabbin s'interrompit. L'inquiétude se lisait sur son visage. Il tourna en arrière les pages de son livre de prières et recommença. Au bout de deux minutes à peine, il s'interrompit de nouveau. Il retourna une fois de plus en arrière et reprit sa prière du début. Mais encore une fois, il dut s'interrompre. Il rangea son livre dans sa poche, remit son chapeau et son manteau, souleva David en le prenant sous son épaule et l'emmena avec lui vers la porte. D'une voix à peine audible, il lui dit :
- Mon petit, je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre fils...
David le regardait, perplexe.
- Quoi ?
- Je ne peux pas bénir les âmes de votre femme et de votre enfant. Je ne peux pas car elles ne sont plus là.
- Comment, elles ne sont plus là ? hurla David.
Toujours aussi calmement, chuchotant, comme s'il voulait que cette discussion reste secrète, le rabbin poursuivit :
- Les âmes que je suis venu bénir sont déjà parties, elles ne sont plus là. C'est très étrange ce que j'ai ressenti tout à l'heure quand je priais. J'ai vu leurs âmes partir, quitter les corps que je bénissais. Je suis désolé, mon petit. J'ai peur. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler d'une chose pareille. Des corps vivants mais sans âmes. J'ai eu l'impression d'une voix d'ange qui m'interdisait de poursuivre ma bénédiction. Ce qui se passe ici est terrible, surnaturel ! Je ne peux vous être d'aucun secours. Ce qui est en train de se produire devant nous tient à des forces de l'au-delà, à des mystères qui nous échappent, que nous n'avons pas même le droit d'aborder car ils sont d'essence divine. Ces mystères ne font pas partie de territoires ouverts à l'homme mais du champ spirituel où s'affrontent les forces du bien et du mal, où réside le souffle de la création. Un territoire que seuls les élus, les prophètes, peuvent appréhender sans risquer eux-mêmes de vouer leur âme à l'enfer éternel. Mon enfant, laissez faire ce qui est ordonné ! Nul ne peut plus rien y changer. Les âmes de ceux que vous aimez ne vont pas disparaître, elles vont continuer de vivre. La voix de l'ange me l'a dit. Elles sont simplement appelées ailleurs. Les bénir ne servirait à rien.
Sans ajouter un mot de plus, laissant David abasourdi par ces propos, le rabbin quitta la pièce. Sans se retourner, il marcha dans le couloir obscur jusqu'aux ascenseurs. David sortit à son tour et chercha à rattraper le rabbin pour lui demander des explications. Il fit quelques pas en courant, mais le rabbin avait disparu." Copyright XO Editions, 2002.


Ne nous y trompons pas : le vrai thème de ce "thriller médical" est la déontologie médicale particulière que suppose le prélèvement d’organes sur donneur "décédé" : le médecin acteur des transplantations, les équipes chirurgicales pratiquant les prélèvements d’organes sur donneurs "décédés" sont obligés de pratiquer sur le patient donneur des gestes invasifs qui n’ont plus pour finalité le soin du patient, mais la simple conservation de ses organes. Or un médecin ne doit-il pas s’occuper de son patient, servir l’intérêt de ce patient en premier lieu, au lieu de sacrifier l’intérêt de ce patient au profit de celui des patients en attente de greffe ?

Le prestigieux Professeur Bishop sauve des vies, il passe pour un héros. Or le Docteur Levine, le voyant sur le point de prélever les organes de son épouse enceinte, le traite de salaud (p. 266). Le Professeur Bishop en est le premier surpris. Il lui était certes venu à l’esprit que l’obtention des organes à des fins de greffe passait par la mort d’un patient, mais que l’obtention des organes vole la mort du donneur, en quelque sorte, en lui volant son âme, voilà qui le dépassait. La loi du "Coffre aux âmes" laisse peu de place à l’héroïsme : le Docteur Levine explique à un Professeur Bishop ahuri :

[p.267] : "Chaque fois que tu sauvais une gamine en lui donnant une âme, tu tuais une femme enceinte pour lui prendre cette âme. Et ce soir, espèce de salaud, l’âme que tu es en train de voler pour sauver cette Jessy, c’est celle de ma femme, Hélène."

Cette déontologie médicale particulière que requiert le prélèvement d’organes sur donneur "décédé" est très vigoureusement questionnée dans le livre du Professeur Khayat : il y a tromperie, duperie, tout comme dans le passage de l’ouvrage de Claire Boileau cité plus haut, ou ... comme lors d’un adultère. Le Professeur Bishop fait croire (et croit) que la transplantation d’organes sauve des vies par miracle. Or il s’agit bien plus de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Pierre n’est-il pas le cocu de l’histoire, surtout si la règle du donneur mort prévaut ? Quelle valeur aura le consentement éclairé de Pierre et ou celui de ses proches dans de telles conditions ? Pierre et ses proches ne risquent-ils pas d’être les dindons de la farce ? Hélène, la femme du Docteur Levine, celle dont l’âme a commencé à migrer vers un autre corps, celle que la mort bleue menace, est une épouse trompée. Le Docteur Levine commet en effet un acte d’adultère : il connaît une liaison avec le Professeur Emma Rosenfeld, qui dirige le service d’obstétrique de l’hôpital St Thomas à New York, dans lequel il va exercer, alors même que son épouse Hélène, qu’il aime tendrement, porte son enfant.

Et si Hélène, c’était un peu ce Pierre que l’on déshabille pour habiller Paul ? Et si le mari qui trompe sa femme découvre qu’il est lui-même le dindon de la farce ? Dans le livre, l’affrontement entre le Dr. Levine et le Professeur Bishop est violent. Ce dernier finira même par se suicider, déclarant au préalable qu’il avait opéré en toute bonne foi et qu’à aucun moment il n’avait eu conscience de voler des âmes.

Déroulons à nouveau le fil de l’histoire : au cours de son enquête sur les mystérieux meurtres qui se déroulent à l’hôpital St Thomas de New York, le Docteur Levine est amené à tromper son épouse Hélène. Ce n’est qu’en résolvant l’histoire de ces meurtres, pas si mystérieux que cela puisqu’il s’agissait en fait de transplantations d’organes, qu’il sera à même de réparer le tort qu’il a fait subir à son épouse, et d’obtenir son pardon. Ne pourrait-on pas dire que le problème de la déontologie médicale particulière, qui est propre aux transplantations d’organes, est, de près ou de loin, voire de très loin, comparable à une histoire d’adultère poussant le Docteur Levine dans les bras du Professeur Emma Rosenfeld ? La solution préconisée (la résolution des meurtres mystérieux) serait alors la suivante : seul l’abandon de la règle du donneur mort permettra de tenir un discours plus honnête, tenant de l’information et tournant résolument le dos à la tentation de la promotion du "don d’organes après la mort". Comparer la tentation de la démagogie à la tentation de l’adultère, c’est pousser le bouchon un peu loin ? Rappelons que la règle du donneur mort a force de loi en France : aucun prélèvement d'organes ne saurait avoir lieu sur un donneur mourant, ce serait un crime. L'état légal du patient donneur d'organes est donc celui d'un cadavre. L'état physiologique de ce même patient ne correspond cependant pas à celui légal, il y a un décalage entre les deux états. Dans le cas d'un donneur d'organes en état de mort encéphalique, le coeur bat encore, tandis que dans celui d'un donneur d'organes en état d'"arrêt cardio-respiratoire persistant", la mort du cerveau ne peut être vérifiée avant le prélèvement des organes. Les critères de définition de la mort, valables durant des millénaires avant les progrès de la réanimation, incluaient la destruction irréversible du cerveau, du coeur et des poumons. La défintion légale de la mort, en vigueur depuis 1968 suite aux progrès de la réanimation, est celle de la mort du cerveau. Les chirurgiens transplanteurs ont donc redéfini la mort, selon des critères qui permettent les transplantations d'organes.

Et si la résolution des mystérieux cas de mort bleue, c’était une pratique des transplantations d’organes qui ne signifierait plus que l’on "déshabille Pierre pour habiller Paul à l’insu de Pierre" ? Et si la résolution des mystérieux cas de mort bleue, c’était l’abandon de la "règle du donneur mort" ?

"Chaque fois que tu sauvais une gamine en lui donnant une âme, tu tuais une femme enceinte pour lui prendre cette âme. Et ce soir, espèce de salaud, l’âme que tu es en train de voler pour sauver cette Jessy, c’est celle de ma femme, Hélène."


Voler signifie dérober un bien à l’insu du propriétaire de ce bien. Y-a-t-il toujours vol si le propriétaire est conscient de ce "vol" ? Ce vol ne deviendrait-il pas un don ?

Que préférez-vous ?

(1) Qu’on dise à vos proches que vous êtes mort, même si ce n’est pas tout à fait vrai, afin de pouvoir prélever vos organes ? Oubliez alors la question de la douleur lors du prélèvement de vos organes : elle n’est pas pertinente. De toute façon, un donneur d’organes "mort" n’est pas anesthésié en continu. Oubliez alors le fait que les équipes médicales doivent réanimer des patients avant le prélèvement d’organes. Que cette réanimation est douloureuse (aussi) pour les équipes médicales qui en ont la charge. Réanimé ou pas, vous êtes mort et un mort, ça n’a mal nulle part. Bannissez toute tentative d’une représentation réaliste du prélèvement de vos organes à votre décès et ne pensez qu’à une chose : vous êtes généreux. (Orientation française)
(2) Que de votre vivant, ayant réfléchi à votre fin de vie, vous puissiez envisager de donner vos organes et tissus encore viables si la fin des traitements palliatifs était envisagée tandis qu’il serait malheureusement devenu inutile de poursuivre des soins ? La question de la sédation terminale serait alors envisagée au préalable du prélèvement d’organes. Le problème de la douleur (anesthésie, sédation terminale) ne serait pas balayé sous le tapis. Une personne en fin de vie a droit à une sédation. (Orientation américaine).

Où est-on plus généreux ? Dans le choix (1) ou dans le choix (2) ?

Désolée, mais en fait vous n’avez pas le choix. (2) n’est pas une option en France. Quelle différence cela fait-il ? Je répondrai à cette question par une autre : le Professeur Khayat aurait-il écrit ce même thriller médical "où la science et le sacré s’affrontent" si la "règle du donneur mort" existait en France sous une autre forme, rendant l’option (2) possible ? Une précision : la loi Léonetti, dite loi sur la fin de vie, datant d’avril 2005, concerne les soins palliatifs dont devraient bénéficier tous les patients en fin de vie – à l’exception des donneurs d’organes morts, qui n’ont plus les droits civiques de la personne en fin de vie.

Bien entendu, le livre du Professeur Khayat ne pose pas explicitement la question d’un choix entre les options (1) et (2).

"David (...) se mit à courir vers sa femme et son enfant" est la dernière phrase du livre.

Comment l’interpréter ? Le "Coffre aux âmes" contient indéniablement une réflexion éthique sur le constat de décès du donneur mourant dans le cadre des transplantations d’organes. Par le biais de la fiction, cette réflexion éthique échappe à la pression idéologique de la règle du donneur mort. Est-ce à dire que le "Coffre aux âmes" constituerait une plaidoirie contre le don d’organes ? Affirmer cela reviendrait à souscrire à la logique selon laquelle toute non-promotion du don d’organes ne pourrait constituer une information pertinente. "Il faut sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations d’organes", écrivait le Professeur Bernard Debré en 2005. De son côté, le Professeur David Khayat a montré en 2002 qu’il était possible de tenir un discours sur les transplantations d’organes capable de s’affranchir de la promotion du don et de la règle du donneur mort.

N.B. : l’auteur de ces lignes signale que le Professeur David Khayat n’a pas eu connaissance de cette interprétation de son livre "Le Coffre aux âmes". Cette interprétation n’engage donc pas la responsabilité de l’auteur du roman.

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