Scientific MOOCs follower. Author of Airpocalypse, a techno-medical thriller (Out Summer 2017)


Welcome to the digital era of biology (and to this modest blog I started in early 2005).

To cure many diseases, like cancer or cystic fibrosis, we will need to target genes (mutations, for ex.), not organs! I am convinced that the future of replacement medicine (organ transplant) is genomics (the science of the human genome). In 10 years we will be replacing (modifying) genes; not organs!


Anticipating the $100 genome era and the P4™ medicine revolution. P4 Medicine (Predictive, Personalized, Preventive, & Participatory): Catalyzing a Revolution from Reactive to Proactive Medicine.


I am an early adopter of scientific MOOCs. I've earned myself four MIT digital diplomas: 7.00x, 7.28x1, 7.28.x2 and 7QBWx. Instructor of 7.00x: Eric Lander PhD.

Upcoming books: Airpocalypse, a medical thriller (action taking place in Beijing) 2017; Jesus CRISPR Superstar, a sci-fi -- French title: La Passion du CRISPR (2018).

I love Genomics. Would you rather donate your data, or... your vital organs? Imagine all the people sharing their data...

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Concernant les fichiers son ou audio (audio files) sur ce blog : ce sont des fichiers Windows ; pour les lire sur Mac, il faut les ouvrir avec VLC (http://www.videolan.org).


Demandez le programme !

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Docteur Jean Leonetti


Médecin (cardiologue) et député, auteur de la loi sur les droits des malades en fin de vie (loi du 22 avril 2005), rapporteur de la mission parlementaire sur la bioéthique, dans le cadre de l’actuelle révision des lois bioéthiques d’août 2004, président des Etats Généraux de la bioéthique en 2009, organisés afin que l’usager de la santé s’empare des problèmes de bioéthique.
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L’accessibilité aux richesses
que constituent les éléments du corps humain, lorsque ces richesses, comme les organes, gènes, ovules, gamètes et autres utérus, appartiennent à des personnes et ne peuvent, en principe, être utilisées contre leur gré. “Le Docteur Jean Leonetti s’interroge sur la dignité humaine, la commercialisation du vivant ou le risque d’eugénisme : mères porteuses, clonage, euthanasie, vente d’organes…”.

Le Docteur Jean Leonetti nous restitue dans notre rôle d’acteur face aux enjeux sociétaux, familiaux et intimes d’une science médicale issue de “l’homme qui se mit à créer l’homme”.

A compter du 20 février 2010, chaque scénario du dernier livre de Jean Leonetti, "Quand la science transformera l'humain", fera l’objet d’une analyse, de comparaisons, de témoignages, de regards croisés avec d’autres fictions et faits d'actualité.

Rendez-vous hebdomadaire à ne pas manquer !

… Et parce qu’on ne peut pas tout dire, merci d’apporter vos commentaires afin d’enrichir ces chroniques !

“En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des organes !”

Jean_Leonetti Médecin député, rapporteur du projet de loi dans le cadre de la révision des lois bioéthiques en vue d’une nouvelle loi prévue pour le printemps 2010, le Dr. Jean Leonetti est l’auteur d’un ouvrage intitulé “Quand la science transformera l’humain. 20 scénarios pour demain”, paru chez Plon en janvier 2010.

Il s’agit de rendre accessibles à l’usager de la santé les enjeux des avancées de la science médicale, les questions d’ordre moral et éthique posées par ces avancées, sur le plan sociétal, mais aussi professionnel ou intime.

Nicolas Sarkozy, 2009 :
“Il faut que les Français s’emparent de ces questions lors des états généraux de la bioéthique”. Grâce au Dr. Jean Leonetti, c’est maintenant chose faite.

Le Dr. Jean Leonetti a également été le rapporteur des états généraux de la bioéthique qui se sont tenus l’année dernière, impliquant les usagers de la santé dans le travail de préparation à la nouvelle législation.

Voici le 21ème scénario, celui que l’éditeur n’a pas osé publier ! Je l’ai imaginé après une lecture attentive de l’ensemble de l’ouvrage du Dr. Leonetti cité plus haut.

21ème scénario : “En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des organes !” (Document PDF, 80 Ko, 4 pages)

==> http://nereja.free.fr/files/JL_21_scenario_26022010.pdf

Version audio, dédiée au Dr. Jean Leonetti :

==> http://nereja.free.fr/files/WS210378.WMA

Docteur Jean Leonetti : "Quand la science transformera l'humain. 20 scénarios pour demain." "Consentement présumé".

Le Dr. Jean Leonetti est médecin et député. Il est l'auteur du livre paru chez Plon en janvier 2010 : "Quand la science transformera l'humain. 20 scénarios pour demain."

Ce blogpost fait suite à celui intitulé : Dr. Jean Leonetti : "Quand la science transformera l’humain. 20 scénarios pour demain." "Les pièces de rechange"

Je vous propose une analyse du scénario du Dr. Jean Leonetti intitulé : "Consentement présumé."

Dr. Jean Leonetti : "Consentement présumé" (Doc. PDF, 208 Ko, 13 pages) :

==> http://nereja.free.fr/files/JL_25_02_2010_Consentement_presume.pdf

Dr. Jean Leonetti : “Quand la science transformera l’humain. 20 scénarios pour demain.” “Les pièces de rechange”

Docteur Jean Leonetti : "Quand la science transformera l’humain. 20 scénarios pour demain"
"Les pièces de rechange" - "La barbarie civilisée" (Edgar Morin) - PLON, 2010

A M. Alain Tesnière.

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Médecin (cardiologue) et député, auteur de la loi sur les droits des malades en fin de vie (loi du 22 avril 2005), rapporteur de la mission parlementaire sur la bioéthique, dans le cadre de l’actuelle révision des lois bioéthiques d’août 2004, président des Etats Généraux de la bioéthique en 2009, organisés afin que l’usager de la santé s’empare des problèmes de bioéthique.

Spécialiste du thème de la fin de vie, le Dr. Leonetti avait publié “A la lumière du crépuscule. Témoignages et réflexions sur la fin de vie” chez Michalon en 2008.

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L’accessibilité aux richesses que constituent les éléments du corps humain, lorsque ces richesses, comme les organes, gènes, ovules, gamètes et autres utérus, appartiennent à des personnes et ne peuvent, en principe, être utilisées contre leur gré.

"Le Docteur Jean Leonetti s’interroge sur la dignité humaine, la commercialisation du vivant ou le risque d’eugénisme : mères porteuses, clonage, euthanasie, vente d’organes… ".

A défaut de marchandiser le corps humain, l’aurait-on rendu consommable ?

Le Docteur Jean Leonetti nous restitue dans notre rôle d’acteur face aux enjeux sociétaux, familiaux et intimes d’une science médicale issue de "l’homme qui se mit à créer l’homme".
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"Avatar", le film de James Cameron.


L’accessibilité aux richesses
en matières premières (ressources énergétiques) lorsque ces richesses sont détenues par un pays non industrialisé, et convoitées par une nation puissante, à la pointe du progrès industriel et technologique, qui utilisera toute sa science et sa technologie afin d’accéder à ces richesses nécessaires pour développer sa croissance économique, industrielle et technique. Une civilisation en danger et un pays industrialisé, malade de son progrès, s’affrontent.

Entreprise, mondialisation, santé : l’éthique est partout !

L’éthique est partout : santé, affaires, cinéma. Dans « Avatar », de James Cameron, elle crève l’écran. Ce film sorti en décembre 2009 fait des records de recette dans le monde entier. Le thème du film : l’accès aux ressources naturelles pour les peuples autochtones et les minorités, face à une civilisation étrangère, plus avancée sur le plan de la technique et qui convoite ces ressources, déployant son savoir-faire technologique et scientifique pour chasser les autochtones et accéder à ces ressources qui ne leur appartiennent pas. Avatar développe une réflexion sur l’éthique de l’accessibilité aux ressources naturelles d’un pays donné. Le pétrole en Algérie, au Darfour, en Irak, convoité par des puissances étrangères. L’impérialisme des Américains au Viêt-Nam, au Laos, puis en Irak ; celui des Chinois au Darfour.

Ces éternelles liaisons dangereuses entre richesses naturelles et comportement de prédation …

Ces éternelles liaisons dangereuses entre pétrole et impérialisme, entre richesses naturelles et comportements de prédation, voilà un thème qui nous parle. Transposons-le sur le plan de la santé – en particulier en ce qui concerne les transplantations, c’est-à-dire les prélèvements et greffes d’organes et de tissus.

Télécharger le fichier (document PDF, 28 pages, 472 Ko)


==> http://nereja.free.fr/files/JL20_02_2010.pdf

David Le Breton : “Le corps humain : regard anthropologique.” (15/12/2009)

Lors des Journées de l’Agence de la biomédecine, les 14 et 15 décembre 2009, l’universitaire anthropologue David Le Breton, auteur de "La Chair à vif" (Editions Métailié, 2008), avait fait une présentation très intéressante. Je me permets de mettre mes notes en ligne, en espérant qu’il n’y verra pas d’inconvénient, car sa présentation intéressera non seulement nombre d’acteurs de la santé qui n’ont pas pu assister à ces Journées de décembre 2009, mais aussi bien des usagers de la santé qui passent sur ce blog. Je salue au passage les spécialistes du pôle Sciences Humaines et Langues de la Médiathèque de Rueil-Malmaison, qui m’ont fait partager leur excellente connaissance de cet auteur. Pas de doute : cette présentation de David Le Breton va les intéresser !

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“Avec l’anthropologie, nous effectuons un pas de côté au-delà de nos routines de pensées, il s’agit de susciter l’étonnement que les choses soient ainsi. Le corps est l’espace individuel, qui se donne à voir et à lire aux autres. L’appartenance sociale, culturelle, ethnique : le corps est marqueur de tout cela, il établit une frontière entre soi et l’autre de manière vivante (mémoire vive), poreuse (peau : des portes que nous ouvrons et fermons selon les circonstances). Parce qu’il n’est pas un ange, toute relation de l’homme au monde implique une médiation du corps : intelligence du corps, incarnation de notre esprit. Nous ne sommes pas des anges, comme dans le film de Wim Wenders, ‘Les ailes du désir’”.


L’universitaire anthropologue
David Le Breton :

“L’anthropologie nous rappelle que le quotidien est une construction sociale”.

Télécharger la présentation de David Le Breton : “Le corps humain : regard anthropologique.” (15/12/2009)

==> http://nereja.free.fr/files/David_le_Breton_151209.doc

Homme, blog et destin : ça se discute !

Le 15 décembre 2009, aux Journées Annuelles de l'Agence de la biomédecine, le sociologue David Le Breton analysait le corps humain et la communication avec le regard de l'anthropologue, effectuant "un pas de côté au-delà de nos routines de pensées." Il s’agit de "susciter l’étonnement que les choses soient ainsi. Le corps est l’espace individuel, qui se donne à voir et à lire aux autres." Oui, mais comment ?
Pour cet universitaire, auteur du brillant ouvrage sur la sociologie des transplantations, "La Chair à vif" (Ed. Métailié, 2008), c’est une nouvelle anthropologie qui se met en marche.
"Toute modification de sa forme engage une autre définition de l’humanité. Si le corps devient détachable de la personne, alors c'est la porte ouverte au cyborg, au téléchargement de l’esprit sur le net, etc. Le corps n’est plus le bastion du sujet. Le corps devient dans le contexte de la vie quotidienne l’antidestin (Le psychanalyste autrichien Sigmund Freud disait : 'l’anatomie est notre destin'. C'est bien fini aujourd'hui !)

L'hybridité est la fusion entre l'homme et la technologie. Cette collision se développera de plus en plus. Le 'franchissement de la barrière des espèces' (Professeur Bernard Debré), la mise à plat de toutes les valeurs, qui prennent la même importance, peuvent en témoigner. Dans le registre de la communication, il y a des informations qui circulent, il n’y a plus de corps. Nous téléchargeons notre esprit sur le net. Nous devenons ce que notre cerveau contient, c'est-à-dire une foule d'informations recueillies sur le net."
Voici, comme pour faire écho à cette analyse de David Le Breton, un article paru dans Le Monde en janvier 2010 (Jean-Marc Manach).

"Pour Josh Freed, célèbre éditorialiste canadien, c'est la plus importante fracture générationelle depuis des décennies, qu'il résume ainsi : d'un côté, nous avons la 'génération des parents', de l'autre, la 'génération des transparents' : l'une cherche à protéger sa vie privée de manière quasi-obsessionnelle, l'autre sait à peine ce qu'est la 'vie privée'. La génération des transparents a passé toute sa vie sur scène, depuis que leurs embryons ont été filmés par une échographie alors qu'ils n'avaient que huit semaines… de gestation. Ils adorent partager leurs expériences avec la planète entière sur MySpace, Facebook ou Twitter et pour eux, Big Brother est un reality show. La génération des parents voit cette transparence comme un cauchemar. Elle a grandi à l'ombre de Mac Carthy et des espions de la CIA, et est plutôt paranoïaque dès qu'il s'agit de partager des données personnelles, de passer à la banque en ligne ou même d'acheter un livre sur Amazon. Josh Freed raconte ainsi qu'à peine rentré de vacances, son fils mit en ligne toutes les photos de famille, en maillot de bain, avant que sa mère, l'apprenant, ne les en retire 'plus rapidement qu'un censeur du gouvernement chinois'. (...) Votre enfant a peut-être sa propre chambre dotée d'une porte qui ferme à clef, et de son propre ordinateur. Mais il n'a pas d'espace privé. Et c'est pour cela que les enfants se ruent dans l'arène publique pour se libérer de la façon qu'ont leurs parents et administrations scolaires de leur dicter leur façon de se mouvoir et de communiquer. (...)Lorsqu'on les interroge, les adolescents déclarent systématiquement qu'ils préféreraient des espaces physiques plutôt que virtuels de socialisation, mais sans contrôle parental… Au final, et alors que les adultes doivent réapprendre à se comporter en public, du fait des changements induits par les technologies, les ados, eux, apprennent à se comporter en public grâce aux (et avec les) technologies. Contrairement à ce que l'on entend souvent, ils n'ont pas particulièrement pour autant de facilités 'naturelles' vis-à-vis des technologies, mais c'est effectivement souvent par leur truchement qu'ils apprennent, dans un monde d'adultes, à vivre ensemble, entre eux, et à être un peu seuls, tout simplement. Ce qui leur offre de nombreuses (et nouvelles) libertés mais aussi, et invariablement, angoisse leurs parents en particulier, et les adultes en général. (...) Un nombre considérable de jeunes gens partagent publiquement plus de données personnelles qu'aucune personne plus âgée ne l'a jamais fait, et ils semblent pourtant mystérieusement en bonne santé et normaux, et dotés d'une définition totalement différente de la vie privée."

Terminons (mais comment finir ?) sur une anecdote savoureuse, rapportée dans cet article, et qui, j'en suis certaine, parlera à bien des parents d'ados :

"Le New York Times raconte (...) l'étonnement du président de Walt Disney qui, convoyant sa fille et deux de ses amies en voiture, s'étonnait de ne pas les entendre parler, mais de la voir taper des SMS :
'- Tes amies sont là, ça ne se fait pas !
- Mais papa, nous sommes en train de nous écrire, je ne veux pas que tu entendes ce que j'ai à leur dire !'"

La science serait-elle incommunicable ?


Michel_Claessens

L'ouvrage est consacré à l'impossibilité actuelle de bien communiquer la science. Une synthèse des travaux en académie et des pratiques sur le terrain donne un tableau assez noir : bilan scientifique mitigé et absence en Europe d’une véritable culture de communication publique de la science.

Michel Claessens est responsable de la communication à la Commission européenne (Direction générale de la recherche). Il enseigne à l'Université Libre de Bruxelles et anime le réseau international sur la communication publique de la science et de la technologie (PCST). Le 29/09/2009, il a publié un livre provocateur : “Science et communication : pour le meilleur ou pour le pire ?”

M. Claessens part du constat suivant : ce qui domine dans notre société contemporaine, ce sont bien les difficultés de communiquer la science : En Europe et en France notamment, le nucléaire semble toujours se gérer par manifestations et les OGM par fauchages.

“Sur le plan purement scientifique, expliquent Sless et Shrensky, les preuves d’une efficacité de la ‘communication’ sont aussi fortes que celles liant les danses de la pluie à l’apparition de celle-ci.”

L'analyse des crises récentes (Tchernobyl, OGM, vache folle, grippe aviaire) révèle des exemples flagrants d'incommunication publique. Cette situation handicape fortement les interactions entre science et société. Pour développer une culture de la communication de la science, l'ouvrage propose notamment d'instaurer des "jurys d'assises de la techno science" en systématisant voire en institutionnalisant les conférences de citoyens.

 

Ben_Goldacre
Un livre qui dénonce toutes les “bulles scientifiques” (à l’instar des bulles immobilières) crées par des journalistes incompétents et/ou des médecins faisant assaut de zèle pour obtenir des crédits de recherche, lesdites “bulles” pouvant profiter à de grands labos pharmaceutiques.

Dr. Ben Goldacre est médecin-journaliste, chroniqueur hebdomadaire dans "The Guardian" (UK). il dénonce la "Bad Science" : la “mauvaise science”, chaque semaine dans ce grand journal anglais. Ce livre vient de sortir (2009) et constitue un “best of” des chroniques de Ben Goldacre. Les récompenses pleuvent : classé dans les dix premières ventes du journal “Sunday Times”, ouvrage récompensé par le prix BBC Samuel Johnson, catégorie non-fiction 2009.

Ce scientifique-journaliste n'y va pas de main morte pour dénoncer les "bulles" et autres "media Hoax" créés par les
journalistes "scientifiques" incompétents, qui ne vérifient pas, ou insuffisamment, leurs sources. Le but de sa chronique “Bad Science” est toujours de dénoncer les mauvais articles "scientifiques" dans la presse grand public.

Une chronique hebdomadaire dans la presse (journaux, revues grand public) écrite par un scientifique pour faire un bêtisier de la science racontée au grand public et éclairer notre lanterne ? On souhaiterait un Docteur Goldacre français.
Saviez-vous que, par le nombre de quotidiens (presse) lus par nos concitoyens, la France ne figure pas dans les 29 premiers pays ? En ce qui concerne la liberté de la presse, la France ne figure ni parmi les 30 premiers pays, ni parmi les 30 derniers (classement international 2008-2010, source).


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“Des médias complices” : “Les médias ont aussi leur responsabilité. La très grande majorité des journalistes a pour mauvaise habitude, à l’annonce d’une ‘première’, de ne pas vérifier la solidité, la véracité même des informations divulguées par le spécialiste, d’entonner immédiatement l’hymne à la médecine triomphante, de passer sous silence les problèmes posés, quitte (…) plus tard à amplifier le retour du bâton.”

Le professeur Daniel Loisance, qui dirige le service de chirurgie cardio-thoracique et vasculaire au CHU Henri-Mondor, Créteil, a publié chez Robert Laffont en 1999 un ouvrage intitulé “Le Cœur réparé” : “Après un-demi siècle de progrès spectaculaires, quel est l’avenir de la chirurgie cardiaque ?”

Le regard qu’il porte sur les médias est critique :

“Souvenons-nous (…) des affirmations sans cesse répétées, à toute occasion, dans tous les médias, pendant plus de dix ans : ‘La greffe cardiaque, ça marche’, et les difficultés des véritables spécialistes pour émettre des réserves. Ceux qui essayaient de situer la greffe dans son véritable contexte, de parler des vrais problèmes n’étaient pas écoutés. (..) [L]a société a été réceptive aux discours de ceux qui continuaient, sans justification scientifique, à tenir un discours simplificateur”.

Les choses ont-elles changé aujourd’hui ?

“La greffe, c’est ‘peanuts’!”, déclarait un jeune tout juste greffé des poumons dans une émission grand public en septembre 2009 sur le don d’organes. Ce “peanuts”, qui s’inscrivait bien dans une volonté de discours lisse, a choqué plus d’un professionnel des transplantations, qui souhaitaient voir les vrais problèmes abordés, et profiter d’une émission à grande audience pour débattre de problèmes de société qui s’inscrivent en ce moment même dans les nouvelles lois bioéthiques : le don d’organes de son vivant (rein essentiellement), le trafic d’organes …


La science serait-elle incommunicable ?

Pour Michel Claessens, “la vulgarisation scientifique est trop souvent incomplète, voire ratée. Les scientifiques critiquent souvent le travail du journalisme scientifique. Il n’existe pratiquement aucun forum permettant aux différents points de vue de se confronter et à un jury populaire de s’exprimer. La disponibilité de nombreux, et excellents, produits d’information (livres, revues, émissions télévisées, sites Internet, etc.) ne doit pas faire illusion. Au-delà des mots, la science est largement incommuniquée. (…) Communiquer la science est (…) impossible à la télévision, où le minutage et la brièveté des débats ne permettent au mieux qu’un simulacre ou une mascarade d’échanges minutés et mis en scène. Impossible également les enceintes politiques où les confrontations d’idées s’effacent derrière les positions partisanes. Impossible aussi dans les établissements d’enseignement, qui ne sont pas adaptés pour ce type d’activités. Des sujets complexes comme l’Europe et la science sont aujourd’hui ‘incommunicables’. (…) On lit et on entend souvent que les scientifiques sont de piètres communicateurs, qu'ils ont bien des difficultés à communiquer la science. Il y a des exceptions notoires mais, pour l’essentiel, la communication scientifique connait bien des difficultés. C'est pourquoi les scientifiques laissent à d'autres le soin de communiquer la science. Ces difficultés à communiquer la science ont leurs raisons. Habitués à jargonner pour leurs pairs, peu soucieux de garantir la pertinence des écrits de toutes sortes qu'ils manipulent chaque jour, ils laissent volontiers le soin à d'autres de parler en leur nom, même s’ils ne ratent pas une occasion pour critiquer le travail effectué par ces tiers, et en particulier, celui effectué par les journalistes dits scientifiques. (…) 

La communication de la science est, comme la science elle-même, morcelée et fragmentée. C'est pourquoi la communication scientifique est si peu aisée. Le scientifique, face à un sujet hors de sa discipline, donc dans la plupart des cas, se trouve pratiquement dans la même situation qu’un citoyen éduqué. Il peut donner son opinion, qui sera peut-être très intéressante, mais qui n'est qu'une opinion parmi d'autres. Les disciplines scientifiques étant de plus en plus étriquées, un chercheur pressé par des journalistes d'aborder un problème lié à une application de la science peut être rapidement entraîné sur des voies qu'il aura peu sillonnées et vers des terrains qu'il n'aura pas défrichés. Je me demande sincèrement s'il est pertinent d'interroger un scientifique sur une question d'actualité. Les modèles et le travail des chercheurs sont parfois tellement éloignés du monde réel que ceux-ci ne sont pas nécessairement les mieux placés pour traiter de problèmes forcément complexes et multiformes. Je crois donc, pour cette raison notamment, que la science ne peut prétendre influencer directement la politique. (…) .Les scientifiques, (…) à propos du journalisme scientifique, expriment presque invariablement les mêmes reproches : travail de pauvre qualité, mauvaise retranscription des interviews, introduction d'erreurs, simplification à outrance, etc. Cette critique n’est pas propre, tant s’en faut, au monde de la science. Mais ces attaques à l'égard de la presse et du journalisme scientifique, en général bien fondées, oublient l’essentiel : les médias n’ont pas pour but d’éduquer le public. Ce sont des entreprises dont l'activité économique est de produire des ‘news’ (donc on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure).

Un reproche fréquemment adressé par les scientifiques est l'exagération des résultats et la déformation des faits dont les journalistes scientifiques feraient preuve dans leurs comptes rendus. Mais l'inverse est aussi vrai. Des scientifiques soulignent parfois avec un peu trop d'enthousiasme certains éléments de leur recherche pour forcer la décision de financement ou de publication. Dans une analyse désormais connue, Paul Caro explique qu'un article ou un film de science destiné au grand public exploite les trucs et ficelles de la littérature romanesque : héros, monstres, mythes divers, etc. ‘La vulgarisation scientifique, écrit Caro, est un genre littéraire.’ “ (source : http://www.futura-sciences.com)

Qui veut vulgariser l’assistance circulatoire mécanique fera bien de faire vibrer la corde de l’émotionnel, comme il a été fait, des décennies auparavant, pour le don d’organes – notamment afin d’obtenir des cœurs à greffer.

Bilan de ce tableau assez sombre : à quoi bon informer si l’information est stérile ? “Peut-être faut-il qu’en toute modestie, ceux qui s’essaient à l’art difficile de la communication et de la vulgarisation scientifique espèrent participer davantage à une évolution qu’à une révolution des opinions, en étoffant le débat démocratique et en développant la culture générale.”

Michel Claessens propose d'instaurer des "jurys d'assises de la techno science" en systématisant voire en institutionnalisant les conférences de citoyens. Un pas a déjà été fait dans cette direction en France, puisque pour les travaux gouvernementaux de la révision des lois bioéthiques de 2004, un panel de citoyens, choisis “au hasard”, a été formé par des scientifiques et a participé aux débats précédant la révision des lois bioéthiques. Cette révision est prévue à horizon 2010. Souhaitons que cette initiative citoyenne se poursuive et se généralise en France.

Envisageons à présent quelques réalités :

Par le volume de quotidiens (presse) lus par nos concitoyens, la France ne figure pas dans les 29 premiers pays (classement international 2010), tandis que la Grande-Bretagne se situe au 12e rang mondial, et les USA en 25e position (à égalité avec la Croatie !)  En ce qui concerne la liberté de la presse, la France, tout comme les USA, ne figure ni parmi les 30 premiers pays, ni parmi les 30 derniers, alors que le Royaume-Uni arrive en 23e position des pays où la liberté de presse est la plus grande. En revanche, en ce qui concerne les Prix Nobel, la France est bien classée : 3e position du classement international pour le Prix Nobel de la paix, 5e pour celui de l’économie, 1ère pour celui de la littérature, 4ème rang pour le Prix Nobel de la médecine, physique, chimie. En résumé : l’excellence scientifique, nous savons faire ; l’excellence littéraire aussi. Mais la lecture de ces exploits dans la presse grand public, quitte à ce qu’un chroniqueur scientifique vienne mettre un peu d’ordre et de précision dans un discours peu nuancé ou simplificateur, tel Ben Goldacre avec ses chroniques “Bad Science”, voilà qui n’a pas l’air d’être à l’ordre du jour. Bien des acteurs du monde médical (médecins, infirmières), en m’exposant des problèmes d’éthique liés à l’activité des transplantations, m’ont dit : “Vous n’arriverez jamais à vous faire entendre là-dessus. Le mieux, c’est d’écrire une fiction.” Pour qui voudrait aider ses concitoyens à s’orienter dans les problèmes épineux de bioéthique d’aujourd’hui, il vaudrait donc mieux viser le Prix Nobel littéraire que le journalisme scientifique à la Ben Goldacre. Voilà qui ne manque pas d’ambition. La France est bien le pays de Voltaire. Auteur de brillants réquisitoires littéraires contre le fanatisme, le racisme, l’intolérance religieuse, l’esclavagisme, Voltaire n’en a pas moins publié des articles dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, jouant, en son temps, le rôle d’un Ben Goldacre. Si on reparlait de l’’”exception culturelle” de la France à la lumière d’un livre tel que celui intitulé “Bad Science” ?

Les journalistes scientifiques incompétents sont de bonne foi, et c’est bien cela qui est dangereux !

Professeur Daniel Loisance, “Le Cœur réparé”, 1999 :

“La très grande majorité des journalistes a pour mauvaise habitude, à l’annonce d’une ‘première’, de ne pas vérifier la solidité, la véracité même des informations divulguées par le spécialiste, d’entonner immédiatement l’hymne à la médecine triomphante, de passer sous silence les problèmes posés, quitte (…) plus tard à amplifier le retour du bâton.”

D’après Ben Goldacre, l'écrasante majorité des journalistes médiocres, c’est-à-dire connaissant leur sujet à 35-40 pour cent, se surestiment, convaincus qu’ils sont de connaître leur sujet à 70 pour cent. Ceux qui maîtrisent honnêtement leur sujet et se situent dans la moyenne (50 pour cent) ont tendance à penser qu'ils le connaissent … moyennement - donc ceux-là s'estiment à leur juste valeur. Les très bons (qui connaissent le sujet à plus de 80 pour cent) se sous-estiment systématiquement, de même que les médiocres se surestiment systématiquement. Le plus dangereux, ce serait cette catégorie de journalistes médiocres, persuadés de connaître le sujet. Or une étude montre que ceux-là se surestiment systématiquement. Pourquoi ? Parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment la question (ou le problème) dont ils traitent pour en appréhender toutes les nuances, toutes les difficultés. Ils sont dans le “Doute Zéro”. Aux antipodes des querelles de spécialistes, certes, mais cette zone de “Doute Zéro” est dangereuse car, dans ce cas, le moteur de la confiance en soi est l’ignorance. Le journaliste médiocre est donc le candidat idéal pour créer un “media Hoax”, une “bulle scientifique”. Voilà qui peut certes profiter aux laboratoires pharmaceutiques. Il y a deux ans, j’ai demandé à un chirurgien spécialiste de la greffe de la face, le professeur Laurent Lantieri, s’il y avait une étude en cours pour améliorer le dosage des immunosuppresseurs chez les patients greffés. Il m’a répondu qu'une telle étude ne pourrait être financée que par un laboratoire pharmaceutique, qui, lui, n’a pas intérêt à ce que les patients prennent moins de médicaments immunosuppresseurs, qui ont pourtant des effets secondaires néfastes : augmentation des risques de cancer (y compris le cancer de la peau !), de diabète, de cholestérol, d’hypertension, risque d’insuffisance rénale ou hépatique … Il a ajouté qu’en tant que chirurgien spécialiste des greffes, il avait la conviction que dans certains cas, un dosage moindre de ces médicaments était bénéfique pour certains de ses patients. Mais il ne s’attendait pas à ce qu’une étude financée par un laboratoire pharmaceutique vienne confirmer ses intuitions, ses convictions et sa pratique dans ce domaine du dosage des immunosuppresseurs chez les patients greffés.

Splendeur et décadence

Dans son livre, Goldacre n’aborde pas le thème des transplantations. Il y aurait pourtant à dire et à faire dans ce domaine. Il doit bien avoir écrit quelques chroniques à ce sujet qui ne figurent pas dans le livre. En revanche, il parle d’une bactérie tueuse inventée de toutes pièces par un petit labo qui a fait assaut de zèle sous pression (il s’agissait de se démarquer, en tant que challenger, des grands labos, pour trouver une bactérie que ces grands labos ne trouvaient pas). Des journalistes ont bondi sur l’aubaine : enfin un labo qui a trouvé la bactérie tueuse ! La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Le petit labo à l’origine du Hoax a connu splendeur et décadence : d’abord encensé par les médias, puis accusé par eux de tous les maux – accusé par ces médias, qui, à l’affut du scoop, n’ont pas vérifié leurs sources … Le petit labo challenger a payé son zèle très cher.

Rappelons les propos du professeur Daniel Loisance, cité plus haut :

“La très grande majorité des journalistes a pour mauvaise habitude, à l’annonce d’une ‘première’, de ne pas vérifier la solidité, la véracité même des informations divulguées par le spécialiste, d’entonner immédiatement l’hymne à la médecine triomphante, de passer sous silence les problèmes posés, quitte (…) plus tard à amplifier le retour du bâton.” C’est bien ce qui s’est passé dans le cas du petit labo challenger.

Je recommande la lecture du chapitre intitulé “How the Media Promote the Public Misunderstanding of Science” - “Comment les médias contribuent à promouvoir la méconnaissance de la science”.

Dans son livre “Le Cœur réparé”, le professeur Loisance illustre cette idée, en analysant les débuts de la transplantation cardiaque dans la presse, et l’enthousiasme considérable après l’implantation des premiers cœurs artificiels en 1982 : on lisait alors dans les journaux que “plus personne ne mourra du cœur”, alors qu’en même temps le professeur Loisance parle de “l’impossibilité des vrais spécialistes de passer un message simple : ‘Nous sommes très loin du cœur artificiel idéal, de celui que tout le monde attend, petit, silencieux, qui se fait oublier.” Alors qu’aujourd’hui on s’en approche (lire), les journalistes ne se bousculent pas pour parler du sujet. Or le cœur artificiel qui n’est plus de la taille d’un frigo, mais de celle d’un stylo, c’est pour aujourd’hui, ce n’est pas pour demain. Voilà qui pourrait apporter des solutions à la pénurie de cœurs à greffer. Le discours public continue pourtant à incriminer le manque de “générosité” : “faute de greffe, XXX patients meurent chaque année” est un discours repris en boucle, alors qu’il ne résiste pas à l’analyse : le don d’organes n’est pas un devoir de citoyen, ce n’est pas un du, ni un simple réflexe de la forme, mais un don, librement consenti. D’autre part, quelle est cette curieuse maladie qui fait qu’on peut mourir du manque de “générosité” comme d’un accident de la route ? Le don d’organes n’est pas une médecine comme les autres, par conséquent la greffe ne l’est pas non plus. Affirmer le contraire, c’est induire des comportements de pression liés à la pression sociétale. Etre généreux, donner. Ces comportements de pression que la presse cherche à induire, en donnant une image anodine du don d’organes et de la greffe (“la greffe, c’est ‘peanuts’”), en en faisant “une indication courante” pour tout un tas de maladies liées au vieillissement de la population, n’ont pas résolu le douloureux problème de pénurie d’organes à greffer. Et si la solution à la pénurie de “greffons” cardiaques passait par le cœur artificiel ?

Des médecins enthousiastes et des médias complices

Revenons aux propos de l’auteur du “Cœur réparé” en 1999 :

“Il semble bien que, à côté d’une opinion publique exprimant une attente excessive, certains médecins trop enthousiastes, annonçant, affirmant possible pour tout de suite l’impossible, et certains journalistes, dans les différents types de médias, aient joué un rôle considérable de chambre de résonnance.

Les médecins, certains médecins maîtrisent désormais parfaitement bien les techniques de l’information, de la communication. Ils savent choisir le moment et le lieu de leur annonce, prenant en compte les chances de faire la une des informations ; les premières médicales sont rarement annoncées un soir d’élection, pendant une coupe du monde de football (…). Les techniques pour ‘faire monter la mayonnaise’, transformer un événement tout à fait discutable en un ‘tournant dans l’histoire de la médecine’, en ‘la plus grande avancée jamais connue’ sont très au point, associant les déclarations fracassantes sur les différentes chaînes de télévision du monde d’amis convaincus et plus ou moins partie prenante dans l’entreprise et des images spectaculaires. La politique de la courte échelle, qui permet à un groupe quel qu’il soit de promouvoir un produit, une idée, une personnalité, technique bien connue des publicitaires, est désormais bien entrée dans les mœurs du monde médical. ‘Je vais dire tout le bien que je pense sur ce que tu fais et, à charge de revanche, tu m’aideras à …’, et ce sont des invitations à des conférences à l’autre bout du monde, qui ne peuvent qu’être celles de grandes vedettes, puisque précisément elles sont faites à l’autre bout du monde et que l’on en parle !”

Une sympathique anecdote pour illustrer ces propos : un médecin m’a confié en décembre 2009 : “Je suis issu et fais partie de ce monde où corps et personne font un et ne vois qu'avec horreur le dualisme (à but utilitaire qui nous mène à ce que l'on voit) qui s'est installé à force de propagande.” Son idée était de dire que les prélèvements d’organes remettent en question un héritage fondamental : corps et personne sont inséparables. Or pour accepter les prélèvements d’organes, il faut bien accepter que le corps et la personne sont séparables. Puis il a ajouté aussitôt : “Mais ne relayez pas ce genre d’idées, car sinon on ne vous invitera jamais pour parler de l’éthique des greffes. Est-ce qu’on m’invite, moi ?”

Reprenons le cours de l’analyse de l’auteur du “Cœur réparé” :

Brûler ce que l’on a adoré

“(…) [L]’exemple du comportement des médias en 1967 à l’occasion de la première greffe cardiaque est éloquent. Le décès rapide de ce premier greffé a même été occulté par l’annonce d’une seconde greffe, de la multiplication des greffes. Personne à l’époque n’aurait osé évoquer les difficultés du diagnostic et du contrôle de rejet. Mais, deux ans plus tard, revirement complet : à la une de l’un des plus prestigieux magazines américains, Life, la photo des greffés de Houston et cette question : ‘Que sont-ils devenus ?’, et la réponse brutale, percutante, sans nuances : ‘Ils sont tous morts.’ Même comportement en 1982, à l’occasion du ‘premier’ cœur artificiel ; ceux qui avaient l’impudence de rappeler que tous les problèmes observés, en direct à la télévision chez Barney Clarke, n’étaient en réalité pas surprenants, qu’ils témoignaient de nos insuffisances, qu’ils justifiaient la prudence dans l’utilisation chez l’homme de ces nouveaux outils de la médecine et qu’ils imposaient plus de recherche chez l’animal, étaient soit écartés, soit traités de conservateurs. Mais, seulement quelques mois plus tard, paraissent des articles ravageurs, pour la communauté des chercheurs et des chirurgiens impliqués, sur le caractère prématuré des ‘essais’ du cœur artificiel chez l’homme, sur le problème du financement de cette médecine d’exception, dont se soucient peu, selon eux, les médecins responsables.

Ce procès des médias est en réalité très injuste pour au moins deux raisons. Les sociétés n’ont en réalité que les médias qu’elles souhaitent. Et ceci est vrai dans tous les domaines, la médecine comme le sport et la politique. Cessons l’hypocrisie qui consiste à accuser les médias de tous les comportements choquants , à accréditer que les médias font l’opinion. En réalité, ils ne font qu’amplifier les mouvements de la société et ne sont bien souvent qu’une caisse de résonnance ; les médias ont eu aussi besoin du public, qui contribue à leur activité. Certes, il existe bien des professionnels consciencieux, à qui ‘on ne la fait pas’, qui savent ne pas se laisser manipuler, qui vont au fond des problèmes, avec sérieux et courage, mais sont-ils si nombreux à risquer la colère et les menaces de représailles de leur patron, plus soucieux de leur chiffre d’affaires que des subtilités de la médecine de pointe ?”

Malaise

Ces comportements de médecins et de médias ont contribué à créer un certain malaise dans la société : faut-il voir le don d’organes comme un commerce (plus ou moins légal, voire illégal) de pièces détachées, ou comme un acte de générosité extraordinaire ? Dans les médias, la représentation des transplantations oscille entre ces deux pôles, indécise. Aujourd’hui, j’animais un débat en ligne sur la greffe éthique. Le terme a fait hurler de rire quelques lecteurs. Ils ne savent pas que c’est un concept on ne peut plus sérieux, présenté par le professeur Bernard Devauchelle (CHU d’Amiens), pionnier de la greffe des “tissus composites de la face”, et qui veut créer l’institut européen “Faire Face”, à horizon 2012 : un institut qui portera un label : “la greffe éthique”. Un autre lecteur s’est dit choqué que je n’aborde pas même le thème du trafic d’organes, omniprésent dans le monde. Pour lui, il est impossible de parler de greffe sans parler de trafic d’organes. A un avocat anglo-saxon qui me demandait en décembre 2009 en quoi mon travail de médiation éthique dans le domaine des transplantations d’organes pouvait bien consister, j’ai répondu : “It’s a pie in the face job!” (l’image de la tarte dans la figure est assez parlante pour rendre la traduction inutile). Un exemple concret : à plusieurs chirurgiens transplanteurs, j’ai confié ma vision de la “mort cérébrale” qui permet le prélèvement d’organes : il s’agit d’un patient qui est mort sur le plan légal, bien qu’étant mourant sur le plan physiologique. une vie sur le départ. Aucun de ces chirurgiens n’a été choqué par ma vision de la mort cérébrale. Pourtant, le discours public continue à véhiculer (marteler) l’idée que le donneur est mort et “archi-mort”. Là encore, grand public et scientifiques vivent dans deux mondes parallèles, appelés à ne jamais se rencontrer, obligeant les soignants à vivre une réalité schizophrène : il y a le discours grand public ; il y a les réalités scientifiques. A un journaliste qui me demandait ce que cela pouvait bien faire comme différence, un donneur mort ou un donneur mourant, j’ai répondu que cela faisait une différence grosse comme une loi : celle sur les droits des malades en fin de vie : la loi d’avril 2005. Du point de vue de la logique du discours grand public, la question de la fin de vie du donneur d’organes ne se pose pas. Pour les soignants, elle se pose. Il n’est pas étonnant que certains spécialistes, comme la sociologue américaine Renne Fox, ou la sociologue française Renée Waissman, toutes deux spécialistes des prélèvements et des greffes d’organes, attirent l’attention des soignants sur la souffrance engendrée par ces mondes à deux vitesses. La deuxième, au cours d’une émission sur le don d’organes sur la Chaîne Parlementaire, dans laquelle elle intervenait le 17/10/2009, au cours de la journée internationale du don d’organes : “Je suis du côté des familles confrontées à la question du don d’organes. J’ai eu beaucoup de mal à recueillir des témoignages de la part de ces familles, car beaucoup d’entre elles sont dans une trop grande souffrance pour vouloir ou pouvoir témoigner. D’autres sont plongées dans le doute d'avoir bien fait en autorisant le don d'organes, et s'interrogent sur l'énormité d'un tel sacrifice : pourquoi eux ?? Pourquoi ont-ils dû faire ce sacrifice, en acceptant le don d'organes pour leur proche ?” Pourtant, les médias ne relaient que les témoignages “positifs” : les familles qui se félicitent d’avoir pu faire preuve de générosité dans un moment pareil. Certes. Mais tout est-il aussi simple que l’on voudrait bien nous le faire croire ? Ces familles heureuses de leur choix du don existent. Mais les autres, qui s’interrogent, existent aussi. Renee Fox, quant à elle, est citée dans le “Cœur réparé”, pour un extrait de son ouvrage : “Pièces détachées” : “ (…) [N]ous voulons nous distinguer très clairement de ce que nous considérons comme une dérive d’un pouvoir médical excessif et des efforts faits par la société pour perpétuer sans fin la vie et réparer, reconstruire l’homme par le remplacement d’organe. Nous voulons nous séparer des souffrances humaines, du mal social, culturel, spirituel qu’engendrent ces excès sans limites.” En mai 2009, un chirurgien spécialiste des greffes déclarait, dans une présentation à l’académie nationale de médecine, se féliciter de pouvoir greffer deux reins médiocres à un patient, afin de contourner le problème de pénurie de reins à greffer. Un seul rein en bon état ne s’étant pas trouvé pour ce patient en attente de greffe, il lui en a greffé deux qui fonctionnent mal, en espérant que, comme pour un véhicule, deux moteurs qui fonctionnent mal feraient le travail d’un qui fonctionne bien. L’obscénité de ce propos de pièces détachées a dû échapper à ce chirurgien, fier de servir la nation en servant les patients en attente de greffe. Ce même chirurgien a affirmé voir son éthique ébranlée lorsque des étrangers très pauvres ont défendu le commerce d’organes (de reins en particulier) : ainsi, ils pourraient vivre décemment : manger, avoir un toit, etc. La condamnation (morale) de la vente de reins serait le privilège des riches. Il ne faudrait plus parler de don d’organes. Le mot de “prédation des plus pauvres” me semblerait plus adéquat. On se rappelle en Chine, dans les années 80-90, ces centaines de milliers de paysans du Henan contaminés par le sida : ils vendaient leur sang pour échapper à la misère. Ils trouvèrent la mort. Leur histoire est racontée sous forme de fiction par Yan Lianke, auteur du “Rêve du village des Ding” (2005). “Colère et passion sont l’âme de mon travail”, dit Yan Lianke. Son livre est interdit en Chine, et l’auteur privé de parole.

Sortir de l’impasse ?

La tâche est vaste, écrasante presque : quel acteur de la santé voudra affronter ce paysage médiatique pour essayer de se faire entendre, de parler vrai, d’expliquer les malentendus, de ramener la société à la raison ? C’était le programme du professeur Loisance avec “Le Cœur réparé”, ce fut celui du professeur Debré avec “La Revanche du serpent ou la fin de l’homo sapiens” en 2005, citons également un brillant chirurgien américain de la Harvard Medical School, Atul Gawande, auteur de deux best sellers : “Complications : notes d’un chirurgien sur une science imparfaite”, et “Comment mieux faire : notes d’un chirurgien sur la performance” (2008). Le professeur Bernard Debré travaille à un autre livre : “Le Choix de l’homme”, à paraître prochainement. Il est certes difficile et ingrat de modérer les ardeurs et les excès des uns et des autres, mais guérir la société de cette souffrance dont parlait la sociologue Renee Fox, quel beau défi pour des professionnels de la santé. Même si on n’atteint jamais l’idéal, rien ne nous oblige à nous détourner de l’espoir. Les comportements de prédation (l'accessibilité aux organes pose problème) montrent qu'une société est malade. Guérir ? ... Que les richesses convoitées soient des ressources naturelles ou des organes, rappelons-nous le message, très fort, du film “Avatar”, de James Cameron : non seulement ceux qui doivent supporter les injustices mais aussi ceux qui les commettent ne pourront prendre de plaisir à la vie.

La greffe éthique ?

Isabelle_Dinoire Isabelle Dinoire : “Ce visage, c’est à la fois la donneuse, et moi. Ce visage, c’est moi-même, et c’est l’autre. Ce visage est autre.”

Isabelle Dinoire
, première greffée de la face en France ("tissus composites de la face").

Aujourd’hui, Isabelle va bien.

En 2005, les professeurs Bernard Devauchelle, Sylvie Testelin, les docteurs Moure, d’Hauthuille, du CHU d’Amiens, et le professeur Benoît Lengelé de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), ont réalisé en collaboration avec l'équipe du professeur Jean-Michel Dubernard du CHU de Lyon la première greffe partielle du visage au monde (greffe du triangle formé par le nez et la bouche) sur une femme de 38 ans, Isabelle Dinoire. Cette opération eut lieu entre les dimanche 27 et lundi 28 novembre au CHU d’Amiens.

L’odyssée moderne de cette greffe est racontée par l’écrivain Noëlle Chatelet : “Le Baiser d’Isabelle”.


Aline_Feuvrier_Boulanger

Aline Feuvrier-Boulanger, greffée du cœur à 19 ans (elle en a aujourd'hui 23).  Aline a reçu cette greffe après avoir fait un arrêt cardiaque, c'est ce qu'elle raconte dans son livre : "Mon cœur qui bat n'est pas le mien" (Oh! Editions, 2007).


Aline Feuvrier-Boulanger : l’histoire d’Aline, c'est d'abord un lourd héritage familial. Atteinte d'une maladie génétique, la "myocardie d'origine familiale", elle n’est pas un cas isolé dans sa famille : son père est mort à 29 ans de cette maladie (Aline avait trois ans) et son grand-père à 57 ans. Plus tard, il a été établi que son arrière grand-père était aussi porteur de cette maladie, dont il est décédé à 75 ans. Aline raconte que son père a fait partie de cette cohorte de patients à qui on a posé un cœur artificiel dans des conditions extrêmes, en attendant une transplantation qui est, elle aussi, venue trop tard : tous ses autres organes vitaux étaient à bout ...

La greffe du cœur, une victoire ?

Ce qui préoccupe Aline, ce n’est pas – ou pas tant que cela – l’avant greffe, le calvaire enduré de vivre avec un cœur qui fonctionne à 20 pour cent, ou la greffe. Non. Ce qui la préoccupe, c’est qu’elle est morte avant d’avoir été soignée. “Je n’oublierai jamais ma mort”, écrit-elle. Y avait-il moyen de faire autrement ? Aline écrit:“Tant d’enfants ont besoin de justice.” C’est la dernière phrase de son livre.

Hannah_Jones

Hannah Jones, greffée cardiaque durant l’été 2009. Et maintenant ... La voici de retour à l'école. Elle prépare un livre, avec sa mère, infirmière en soins intensifs, pour expliquer son choix. Le livre paraîtra en mars 2010. "Le Choix d'Hannah".

Hannah Jones, greffée du cœur à presque 15 ans. On se souvient de cette adolescente britannique de 13 ans, qui avait, en 2008, refusé une transplantation cardiaque. Alors très affaiblie, la transplantation avait, du point de vue des spécialistes, peu de chances de réussir. Hannah n'avait pas voulu courir ce risque, et ses parents avaient appuyé son choix, alors que les équipes soignantes du service hospitalier où elle était suivie voulaient lui imposer une transplantation. Hospitalisée régulièrement dès sa plus tendre enfance, Hannah souffrait d'une leucémie. En rémission grâce à la chimiothérapie, elle n'est pas pour autant tirée d'affaire : ces traitements invasifs, poursuivis durant des années, ont gravement abîmé son cœur, et elle souffre d'une grave insuffisance cardiaque. La greffe, avec le traitement immunosuppresseur, pourrait entraîner le retour de la leucémie ...
Durant l'été 2009, Hannah se retrouve en insuffisance rénale. La situation est critique, il faut qu'elle soit transplantée en urgence pour survivre.


 David Le Breton, sociologue, lors de son intervention aux Journées Annuelles de l’Agence de la biomédecine, le 15/12/2009 :

“Il y a des moments où nous sommes en décalage, en rupture avec le corps – il s’agit là d’une expérience de dualité, pas d’un dualisme ! Même cette dualité nous rappelle le lien indissoluble entre le corps et soi, que tout aille bien ou non (maladie, fatigue). Ce lien n’est pas transparent (douleur : sentiment d’être écrasé, trahi par son propre corps, donc par soi-même).”



L’anthropologue universitaire David Le Breton. Auteur de nombreux ouvrages de sociologie, dont “La Chair à vif” (éditions Métailié, 2008), il analyse “le corps humain entre matériel anatomique et remède.”

C’est une nouvelle anthropologie qui se met en marche. Toute modification de sa forme engage une autre définition de l’humanité. Si le corps est détachable de la personne, c’est la porte ouverte au ‘cyborg’ [Un cyborg est un être humain — ou à la rigueur un autre être vivant intelligent, en science-fiction — qui a reçu des greffes de parties mécaniques], au téléchargement de l’esprit sur le net, etc. Le corps n’est plus le bastion du sujet. Le corps devient dans le contexte de la vie quotidienne (et non dans celui de la maladie !) l’antidestin (Freud disait : ‘l’anatomie est notre destin’. C’est fini!

L’hybridité se définit par une fusion entre l’homme et la technologie. Cette collision, cette fusion se développera de plus en plus. On a assisté au franchissement de la barrière des espèces, à la mise à plat de toutes les valeurs, qui prennent la même importance. Dans le registre de la communication, il y a des informations qui circulent, il n’y a plus de corps. On assiste, en quelque sorte, à un téléchargement de notre esprit sur le net. On devient ce que notre cerveau contient, c'est-à-dire une foule d’informations recueillies sur le net.”


(15/12/2009, Journées Annuelles de l’Agence de la biomédecine).

Des patients et des spécialistes pour une greffe éthique ?

Dans un contexte où, plus que jamais, la liste des patients en attente de greffe atteint un nombre record - 8.216 inscrits au 01/01/2009 (source), pour un nombre total de patients en attente de greffe qui s’élevait à 13.698 personnes en 2008, la greffe ... change de visage. Le nombre de patients inscrits sur la liste nationale d'attente au 1er janvier de chaque année est passé de 6.440 au 01/01/2003 à 8.216 au 01/01/2009. Il y a donc un nombre important de patients qui ne sortent pas de la liste d'attente d'une année sur l'autre, ou qui y reviennent. Des patients en attente de greffe ("pénurie"), ou pour lesquels la greffe a échoué (il leur faut une autre greffe), ou des patients qui ont eu une greffe qui fonctionne, mais qui ont tout de même besoin d'une autre greffe - rappelons que les médicaments immunosuppresseurs (20 pilules par jour en moyenne peu de temps après la greffe, 10 par jour en moyenne plusieurs années après la greffe) peuvent attaquer les reins ou le foie ...

Prenons le cas d'une greffe d'exception : la greffe des tissus composites de la face. Quelques patients ont bénéficié de cette greffe en France, mais ils se comptent sur les doigts d'une seule main. Il en allait de même dans d'autres pays, jusqu'aux lendemains de la guerre en Irak. A la une du "Quotidien du Médecin" d'aujourd'hui (03/02/2010), on peut lire :

"Le Pr Laurent Lantieri a été contacté par ses collègues américains pour son expertise dans les greffes de la face. Motif : chez les soldats américains blessés en Irak, on compte entre 150 et 200 blessures du visage tellement dévastatrices qu'elles doivent être abordées par des greffes de tissus composites. Dans ce domaine, la France a une avance colossale sur les États-Unis sur le plan technique. Dans un entretien avec 'le Quotidien', le chirurgien explique comment va s'organiser une coopération, avec une transmission de l'expertise très spécifique des Français."

Ce changement d'échelle nous interpelle. 200 patients en attente de greffe de "visage" d'un seul coup, et combien demain ? La greffe doit-elle devenir un traitement comme un autre ? Voilà qui changerait la face de la médecine ...

La pression exercée par la liste des patients en attente de greffe est telle qu'un acteur du monde des transplantations est intervenu lors des auditions menées par le gouvernement dans le cadre de la révision des lois bioéthiques datant d'août 2004. Le Professeur Jean-Michel Boles, qui dirige le service de réanimation et des urgences médicales du CHU de Brest, co-directeur de l’Espace Ethique de Bretagne Occidentale, était entendu à l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue à horizon 2010. L'objet de son intervention était de se demander si, à défaut de marchandiser le corps humain, on ne l'aurait pas rendu consommable. Pour lui, "on a changé de registre. Et ça, ce n’est quand-même pas qu’un changement quantitatif, c’est aussi un changement qualitatif induit par la quantité." La quantité, c'est l'augmentation permanente de la liste des patients en attente de greffe. La quantité finit par jouer sur la qualité.

Le Pr. Boles a rappelé que la greffe n'était pas un du, ni un devoir, mais qu'elle était le résultat d'un don librement consenti. Ou qu'elle devrait l'être.

"Le don d’organes, ça doit être basé sur un don, et non pas un dû. Il n’y a pas de droit à la greffe, il n’y a pas de devoir à donner. Il y a la possibilité de recevoir une greffe grâce à un don librement consenti qui relève de l’altruisme."

Or le Pr. Boles prend acte d'une "généralisation de l'instrumentalisation [du corps à des fins de greffe]. (...) La généralisation de cette instrumentalisation veut dire, et je sais que je vais choquer certaines personnes, alors ce n’est pas pour le plaisir de les choquer, mais c’est ce que je ressens profondément au fond de moi : nous sommes rentrés, ou plutôt, sommes-nous rentrés, ce sera moins choquant, dans une logique de nationalisation des corps, sommes-nous tous devenus des réservoirs de pièces détachées au service de la société dans une logique utilitariste ?"

Ce changement qualitatif du don d'organes induit par la quantité doit nous interroger. Le don d'organes modifie la fin de vie du donneur, qui est mort sur le plan légal, mais mourant sur le plan physiologique. Une vie sur le départ. Cette réalité est devenue un “tabou-norme” dans le monde médical. Or ne faisons pas comme si de rien n’était, ne banalisons pas ce qui n’a jamais été et ne sera jamais anodin : le prélèvement d’organes. Même si le discours des médias tend à nous faire croire que la greffe est une indication courante et que le seul problème, c’est le manque de générosité. Etrange maladie, où pour ne pas mourir il faut vivre dans une société qui autorise à large échelle le recyclage du corps humain, où les médias et les soignants induisent des comportements de pression liés à la pression de la conformité sociétale (donner ses organes, être généreux). Prenons le cas de ces greffés qui militent pour le don d’organes. Sauveront-ils des vies, ou contribueront-ils à induire des comportements de pression liés à la pression de la conformité sociétale (donner ses organes, être généreux) ? N’oublions pas qu’à l’heure actuelle, des professionnels des transplantations eux-mêmes tentent de réagir contre ces comportements de pression, qu’ils jugent contre-productifs et/ou dangereux. Ils tentent de parler vrai, de ramener soignants et usagers de la santé à la raison sur un thème passionné, passionnel. Les chantres Stakhanovistes des transplantations qui cherchent à culpabiliser la population ("Chaque année, XX personnes meurent faute de greffe". Curieuse maladie que celle où l’on meurt de l’"indifférence" ou de l’"égoïsme" d’autrui comme d’un accident de la route) sont contre-productifs : on ne pourra jamais manipuler en toute impunité la souffrance des gens. Car induire des comportements de pression, ce n’est rien d’autre que cela : manipuler la souffrance des gens, que l’on soit de bonne foi ou non. Donc, le problème de pénurie de greffons restera toujours d’actualité.

La question du don des organes est tout sauf un réflexe de la forme ou un réflexe citoyen

Comment savoir ce que nous ferions vraiment dans une telle situation si un jour nous y sommes confrontés ? Qui peut le dire ? En théorie, on peut être tous pour le don d’organes. Mais face à la réalité d’une fin de vie, face aux réalités d’une intrusion par prélèvement d’organes sur une vie qui est sur le départ (le donneur d’organes), qui peut se vanter de dire : je suis sûr(e) à 100 pour 100 d’accepter le don d’organes ? Je connais un acteur majeur du monde des transplantations, qui n’a cessé de prôner la générosité et de tenter de convaincre des proches confrontés à la question du don d’organes de donner, et qui, le moment venu, n’a pas pu. Son fils, qui s’est suicidé par pendaison, il y a quelques années, s’est retrouvé en mort cérébrale. Mais ce grand avocat de la noble cause du don d’organes, à ce moment précis, n’a pas pu autoriser le prélèvement des organes de son fils. Bel exemple, qui montre que le don d’organes ne pourra jamais devenir un dû. Cette histoire m’a été racontée par M. Régis Quéré, infirmier coordinateur des transplantations, en mars 2008. Tous ces greffés qui militent activement pour le don d’organes causent indéniablement un sourd malaise dans la population, même si par pudeur personne n’ose évoquer ce malaise. Viendrait-il du fait qu’on ne peut être juge et parti ? Le problème du don d’organes est très complexe. L’attitude de la société est à l’image de cette complexité : l’acceptation sociétale du don d’organes est ambiguë. Cette ambiguïté n’est pas sans fondement. Il y a des spécialistes (universitaires sociologues et anthropologues), comme David Le Breton, avec "La Chair à vif", ouvrage paru en 2008, pour placer et analyser le don d’organes dans une perspective anthropologique.

Le Pr. Bernard Debré disait, au cours d’une émission sur le don d’organes sur la Chaîne Parlementaire, dans laquelle il intervenait le 17/10/2009, au cours de la journée internationale du don d’organes, que toutes les grandes religions monothéistes sont tout de même partagées sur la question du don d'organes : certes il sauve des vies, mais il passe par le morcellement du corps, et bouleverse le schéma millénaire de l'indivision entre le corps et la personne (corps et personne ne font qu'un, sont inséparables). Arriver à biffer d’un trait le problème de l’accessibilité aux organes (le rêve de tout chirurgien transplanteur ?) n’a donc pas l’air d’être à l’ordre du jour. Voici ce qu’en dit David Le Breton, sociologue universitaire, auteur de "La Chair à vif" (éditions Métailié, 2008), lors de son intervention aux Journées Annuelles de l’Agence de la biomédecine, le 15/12/2009. Vous allez voir que ce brillant sociologue va très loin sur le sujet du (non-)lien entre le corps et soi, tel qu’il l’analyse dans notre société d’aujourd’hui : en effet, pour accepter le prélèvement d'organes, il faut accepter de séparer le corps de la personne. La greffe introduit donc un dualisme entre le corps et la personne (sans prélèvement, pas de greffe). Or même chez les greffés, le lien entre le corps et la personne existe - sous forme de dualité, quand ça va moins bien, car ce lien n'est pas transparent, mais il existe. Il n'y a pas de dualisme.

Dualité, dualisme. Quelle différence cela fait-il ? David Le Breton analyse cette différence :

"Il y a des moments où nous sommes en décalage, en rupture avec le corps – il s’agit là d’une expérience de dualité, pas d’un dualisme ! Même cette dualité nous rappelle le lien indissoluble entre le corps et soi, que tout aille bien ou non (maladie, fatigue). Ce lien n’est pas transparent (douleur : sentiment d’être écrasé, trahi par son propre corps, donc par soi-même)."

La différence entre dualité et dualisme se rattache à la maladie et au don d’organes.

On a vu que pour accepter les transplantations d’organes, il faut accepter que corps et personne ne sont pas inséparables. Or les grandes religions monothéistes enseignent que le corps et la personne sont inséparables. Je connais des médecins issus et qui font partie de ce monde où corps et personne font un. Ceux-là ne voient, parfois, qu'avec horreur le dualisme – (et non plus la dualité !) à but "utilitaire", car la liste des patients en attente de greffe, qui prend des proportions inédites, constitue une pression énorme ! – qui s'est installé à force de propagande.

Un dualisme entre corps et esprit, qui se serait installé à force de propagande.

Rappelons que les grandes religions monothéistes sont divisées sur le don d’organes : certes il sauve des vies, mais il exige néanmoins le morcellement du corps.

Poursuivons avec les propos de David Le Breton (15/12/09) :
"Le corps est l’instrument général de la compréhension du monde. Nous sommes notre corps. Le corps se confond à la personne, il n’est pas une chose qu’on peut dire qu’on a. Il y a des moments où nous sommes en décalage, en rupture avec le corps – il s’agit là d’une expérience de dualité, pas d’un dualisme ! Même cette dualité nous rappelle le lien indissoluble entre le corps et soi, que tout aille bien ou non (maladie, fatigue). Ce lien n’est pas transparent (douleur : sentiment d’être écrasé, trahi par son propre corps, donc par soi-même). Nous échangeons en permanence des significations connues, à l’intérieur de certaines contraintes. La nature n’existe que traduite en termes sociaux et culturels. Les limites anthropologiques sont donc infiniment variables, changeantes d’un lieu et d’un temps de la société humaine à un autre. On marche sur le feu (au cours de cérémonies religieuses), on soigne les brûlures en soufflant sur les plaies. Il y a la thérapie par le toucher, la négociation avec les dieux (le chamanisme), on libère d’un envoutement un homme qui s’acheminait vers la mort, on soigne un enfant au bord de la mort en lui greffant le cœur d’un autre enfant mort quelques heures auparavant d’un accident de la route, etc. Chaque corps contient les virtualités d’autres corps selon les représentations qui le visent. Soigner et interpréter le corps connaissent différentes déclinaisons. Les limites de l’homme sur son environnement sont des limites de sens avant d’être des limites de faits. La nature est toujours transformée en données culturelles, pour un temps délimité. Je vous livre un chantier ici, des constructions humaines dans l’adversité. Pour bon nombre de sociétés humaines, la notion de corps n’existe tout simplement pas. Pour la Bible, le monde hébraïque, chrétien, le corps n’est pas coupé de la personne. On ne voit pas des corps, mais des hommes, des visages, (sinon, on est schizophrène !). Dans la Bible, il n’y a aucune dimension dualiste entre le corps et l’esprit. La chair est l’incarnation du Christ ; la Passion est la mise à mort du Christ, la résurrection est celle de la chair (et non de l’âme !). Dans la tradition chrétienne, il s’agit d’une personne de chair quand on parle d’une personne, et pas seulement d’une âme. Dans nos sociétés, il n’existe pas d’idée d’un corps coupé de la personne qui suivrait son chemin propre. Dans la société canaque [Kanak ou canaque est le nom utilisé pour désigner les populations autochtones de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique Sud], le mot corps n’existe pas. Une langue interprète déjà le monde. La chair est immergée dans le cosmos, elle est interprétée à travers les objets, la faune, la flore, elle est un écho du cosmos. Pour les Canaques, donc, il n’existe pas de séparation entre l’homme et le monde comme on peut la vivre nous, séparés du monde en étant enfermés dans notre corps. La communauté prime sur l’individuation du monde social comme nous le vivons aujourd’hui. L’exemple des Canaques montre le collectif du corps, pour eux il n’y a pas d’individualité. Or on constate une montée de l’alcoolisme chez les Canaques, un regain de violence au sein de la société. Est-ce du à la présence de la France, qui aurait abîmé cette culture ? Voici la réponse d’un vieux Canaque à un sociologue français, qui lui demandait : 'Qu’a apporté la France aux Canaques ?' : 'Ce que vous nous avez apporté, c’est le corps'. Réponse surprenante que celle de ce vieux canaque ! Pourtant, cette réponse témoigne d’un parler vrai. Elle témoigne du désarroi des Canaques face à cette individuation du corps, qui n’est plus une collectivité.

L’anatomie consiste à couper l’homme de son corps. Fonder la médecine sur le dualisme (dualisme entre corps et esprit) est donc très problématique. Ce savoir chemine avec la montée de l’individualisme dans le monde occidental. La philosophie mécaniste d’un Descartes ('Je pense donc je suis') annonce cette vision mécaniste du corps.

L’homme est séparé des autres ; l’homme est soustrait de la nature et non plus immergé dans le cosmos comme au Moyen Âge ; l’homme est coupé de lui-même : d’un côté il y a l’esprit, de l’autre le corps. C’est sur ce triple deuil que se construit le corps de la modernité."


Telle est la thèse du sociologue David Le Breton.
"Ceci alimente les débats autour des prélèvements d’organes. Quel statut a le cadavre : continuation de la personne ou reste (pur organisme) ? On peut utiliser ce reste pour améliorer la vie de malades. Ces questions renvoient à nos valeurs, au sacré. Cet amas de chair est le corps de ma mère, de mon fils, etc. On peut être ambivalent et ne pas être à la hauteur des convictions qu’on peut avoir (don comme généreux, mais quand-même : c’est ma mère, etc.). Dans le cadavre, beaucoup de sociétés peuvent voir la continuation d’une personne. La profanation des tombes nous bouleverse, alors qu’en même temps on tolère les prélèvements dans nos sociétés. Ceci est paradoxal et peut interroger. On peut débattre autour du statut du cadavre : est-il un corps, ou demeure-t-il attaché à la personne ? De là découle tout notre système de valeur. Les adeptes des arts martiaux, du yoga véhiculent encore d’autres représentations du corps. On n’est pas dans un système de valeurs unifié.

Le corps contemporain :

Le corps comme facteur d’individuation, sorte de butée identitaire (on est défini par le volume qu’on occupe sur notre chaise !). L’individualisme chemine de manière de plus en plus ravageuse, jusqu’à la fatigue d’être soi : on ne peut disposer des autres que de moins en moins : on n’est plus ensemble, mais côte à côte. On est de plus en plus renvoyés à nous-mêmes pour trouver comment continuer à vivre. Le corps devient la matière première, un accessoire de présence, où on se bricole des personnages en fonction de l’ambiance dans laquelle on est immergé(e). On assiste à un repli sur l’affect, en cherchant au plus proche de soi. Il ne reste plus que le corps auquel l’individu puisse croire et se rattacher. Le reste (amour, travail) est sur un siège éjectable. On assiste donc à un prodigieux investissement sur le corps depuis 10 ou 15 ans dans notre société. La transformation du corps accompagne la marchandisation du monde. La ‘dé liaison sociale’ rend l’individu libre de ses assises corporelles, identitaires. Les technologies contemporaines donnent à l’individu une illusion de pouvoir sur soi-même : j’ai fabriqué mon corps, j’ai coupé mes racines.
(…)
C’est une nouvelle anthropologie qui se met en marche. Toute modification de sa forme engage une autre définition de l’humanité. Si le corps est détachable de la personne, c’est la porte ouverte au ‘cyborg’ [Un cyborg est un être humain — ou à la rigueur un autre être vivant intelligent, en science-fiction — qui a reçu des greffes de parties mécaniques.], au téléchargement de l’esprit sur le net, etc. Le corps n’est plus le bastion du sujet. Le corps devient dans le contexte de la vie quotidienne (et non dans celui de la maladie !) l’antidestin (Freud : 'l’anatomie est notre destin'. C’est fini !!)

L’hybridité se définit par une fusion entre l’homme et la technologie. Cette collision, cette fusion se développera de plus en plus. On a assisté au franchissement de la barrière des espèces, à la mise à plat de toutes les valeurs, qui prennent la même importance. Dans le registre de la communication, il y a des informations qui circulent, il n’y a plus de corps. On assiste, en quelque sorte, à un téléchargement de notre esprit sur le net. On devient ce que notre cerveau contient, c'est-à-dire une foule d’informations recueillies sur le net."

Ces propos de David Le Breton ne sont pas déconnectés des réalités de la vie de certains greffés. Tous expérimentent ce lien entre corps et personne sous la forme d’une dualité, ne serait-ce que lors des douloureuses biopsies post-greffe (les biopsies sont nécessaires pour contrôler le risque de rejet) et doivent vivre avec cette représentation d’un dualisme entre corps et personne inhérent au prélèvement de leur “donneur”.

Je souhaiterais citer ici trois patientes greffées qui me paraissent exemplaires. Pourquoi ? Parce que leur greffe, elles la vivent comme un travail permanent sur soi, une recherche permanente d'authenticité.

1.-) Isabelle Dinoire, première greffée de la face en France ("tissus composites de la face").
Le 17/01/2010, Isabelle était interviewée par le Times :
http://www.timesonline.co.uk

On ne peut que saluer la profonde sincérité des propos d'Isabelle Dinoire. Une femme attachante, soutenue par l'écrivain Noëlle Chatelet, qui raconta l'odyssée moderne de la première greffe de "tissus composites de la face" chez Isabelle Dinoire : "Le Baiser d'Isabelle".

Ce qui me séduit dans les propos d'Isabelle, c'est sa sincérité. Elle n'élude rien des difficultés psychologiques et physiologiques de l'avant- et de l'après-greffe. Elle ne considère pas la greffe comme un traitement comme un autre, mais comme quelque chose d'à part, à la fois merveilleux et très difficile, sur le plan psychologique et physiologique. On est loin du discours racoleur sur le don d'organes, véhiculant tant de clichés à côté des réalités des transplantations. On est plus dans l'éthique. On a décidément l'impression qu'Isabelle est très à l'écoute de ce qu'elle ressent et de ce qu'elle vit réellement, et qu'elle sait le transmettre avec des mots simples. Mais ce qu'elle exprime en somme est complexe. Et nous apprend beaucoup sur les réalités des transplantations. On souhaiterait que tous les patients transplantés fassent preuve de la même authenticité, au lieu de s'enfermer dans un discours lisse : "Tout va bien ! La greffe, c'est 'peanuts'", comme on a pu l'entendre dans une émission grand public sur le don d'organes en septembre 2009. Pour bien des patients transplantés, la pression idéologique est très forte, et ne leur permet de dire que deux choses : "Le don, c'est formidable ! Tout le monde devrait donner !", et "Je vais bien, aucun problème".

Désolée, mais on n'y croit pas. Le don d'organes est un don, et non un devoir. Un patient greffé qui promeut le don d'organes me met mal à l'aise. Comment être juge et parti ? D'autre part, les immunosuppresseurs ne sont pas anodins : ils attaquent les reins, le foie, augmentent le risque d'hypertension, de diabète, de cholestérol, de cancer.

Saluons la sincérité d'Isabelle et souhaitons-lui avant tout de garder son courage, sa sincérité et son authenticité très, très longtemps. J'ai comme l'impression que c'est ce qui lui permettra de vivre sa greffe au mieux.

2.-) Aline Feuvrier-Boulanger, greffée du coeur à 19 ans (elle en a aujourd'hui 23).
Aline a reçu cette greffe in-extremis, c'est ce qu'elle raconte dans son livre : "Mon coeur qui bat n'est pas le mien" (Oh! Editions, 2007).

L’histoire d’Aline, c'est d'abord un lourd héritage familial. Atteinte d'une maladie génétique, le "coeur-sabot", aussi appelé "myocardie d'origine familiale" ("gros coeur"), elle n’est pas un cas isolé dans sa famille : son père est mort à 29 ans de cette maladie (Aline avait trois ans) et son grand-père à 57 ans (aussi de cette maladie !). Plus tard, il a été établi que son arrière grand-père était aussi
porteur de cette maladie, dont il est décédé à 75 ans, ce qui pour l'époque était un bel âge. Aline raconte que son père a fait partie de cette cohorte de patients à qui on a posé un coeur artificiel dans des conditions extrêmes, en attendant une transplantation qui est, elle aussi, venue trop tard : tous ses autres organes vitaux étaient à bout ... Autrement dit : le père d’Aline avait quasiment les deux pieds dans la tombe quand on s'est décidé à mettre un coeur artificiel. Aline est très choquée par la fin de vie de son père : "La pose d'un coeur artificiel, dans des conditions extrêmes, ne l'a pas sauvé. (...). Mon père a finalement été transplanté, mais trop tard : ses autres organes vitaux étaient à bout. Il était
sur son lit, la poitrine ouverte avec ce coeur artificiel qui ne pouvait plus rien pour lui tant son organisme s'était usé à combattre l'ennemi inconnu. Il s'en est allé après quatre mois de souffrances. J'avais trois ans."
Tous ces détails, Aline les apprendra bien plus tard. Sa mère voulait la protéger et a attendu longtemps avant de lui raconter toute cette souffrance, et la colère qu'elle a ressentie contre "ce mandarinat de petite province", qui voulait "expérimenter des médicaments sur lui [le père d'Aline]".
Portant (étouffant sous) ce lourd héritage familial (et tous ces non-dits), Aline a tout fait pour cacher, aux yeux de son entourage, la progression de cette maladie chez elle. Elle voulait protéger sa mère qui, à son tour, voulant elle aussi protéger sa fille, ne lui a pas parlé des détails de la maladie de son père, ni de sa fin de vie. Tabous ... La mère d'Aline s'est sentie lâchée par le corps médical, par ces cardiologues qui se contentaient de donner des pilules inefficaces. Que se serait-il passé si Aline avait été prise en charge plus tôt ? A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où elle était suivie depuis l'âge de 13 ans, son état avait déjà inspiré quelques craintes, à l'époque on lui avait parlé d'une possible transplantation du coeur, pour plus tard, si jamais on en arrivait à cette extrémité. Puis ce fut le "black-out" - jusqu’à ce qu'elle ait 19 ans et qu'il faille la greffer en urgence. De 13 à 20 ans, juste un examen annuel à la Pitié-Salpêtrière, et des pilules.
C'est entre 18 et 20 ans qu'elle a vécu un véritable calvaire (l'insuffisance cardiaque progressait, les reins souffraient), en développant tous les stratagèmes possibles et imaginables pour cacher cet état à sa famille (mère et beau-père). Elle s'est montrée d'une ténacité à peine croyable.
Aline aurait-elle pu bénéficier d'une assistance circulatoire bien en amont de la greffe ? Cette assistance circulatoire aurait-elle pu arranger son état, et lui éviter la transplantation ?

La conclusion de son livre (soufflée par l'éditeur ?) est très loin de cette question. La conclusion est : trop de gens meurent encore faute de greffe. Refrain connu. On l’entend tous les jours depuis la fin des années 80. Le livre est publié plus d'un an après la greffe, en 2007. Aline a alors 21 ans. Encore et toujours, elle dit qu'elle va bien (elle a quand-même subi un épisode de rejet du 'greffon cardiaque' - rejet maîtrisé). Elle dit qu’elle va bien. Elle porte un si lourd héritage ...
Peu après la greffe, au bac français, elle tombe sur un jury composé ... d'une 'prof ', dont le conjoint est mort... en attente de greffe. La "prof" en question a dit à Aline, d'un ton aigre, qu'elle avait eu de la chance d'être greffée. Pour sa note de bac français, elle aura par contre moins de chance. 10 sur 20. Le strict minimum. Pas de cadeau.
Pour le bac philo, le jury, sachant qu'elle avait reçu un cœur, lui a donné comme sujet : "la générosité".
En conclusion du livre, dans un bel élan de surcompensation, nous avons tout un chapitre sur le don et la générosité. Le triomphe d'Aline, c'est d'écrire ce livre pour que chacun prenne une carte de donneur d'organes. Mais ça, c'est la partie émergée de l'iceberg. Aline écrit ce livre car elle dit qu'il y a en elle un enfant qui a besoin de justice. "Tant d'enfants ont besoin de justice". Après son bac littéraire et sa greffe, Aline étudie le droit.

Cette trop émouvante histoire, celle d’Aline, une fille qui a le cœur sur la main, donne un relief particulier aux propos du Professeur Daniel Loisance de novembre 2004 :

"Actuellement, les chirurgiens ont totalement échoué à faire comprendre aux cardiologues et à la population que l’assistance circulatoire mécanique était la solution pour l'insuffisance cardiaque. Les choses bougent depuis quelques mois. Mais nous avons échoué." (Source)

Aujourd’hui, nous n’avons plus le droit d’échouer. Trop de patients comme Aline attendent.

3.-) Hannah Jones, greffée du cœur à presque 15 ans. On se souvient de cette adolescente britannique de 13 ans, qui avait, en 2008, refusé une transplantation cardiaque. Alors très affaiblie, la transplantation avait, du point de vue des spécialistes, peu de chances de réussir. Hannah n'avait pas voulu courir ce risque, et ses parents avaient appuyé son choix, alors que les équipes soignantes du service hospitalier où elle était suivie voulaient lui imposer une transplantation. Hospitalisée régulièrement dès sa plus tendre enfance, Hannah souffrait d'une leucémie. En rémission grâce à la chimiothérapie, elle n'est pas pour autant tirée d'affaire : ces traitements invasifs, poursuivis durant des années, ont gravement abîmé son cœur, et elle souffre d'une grave insuffisance cardiaque. La greffe, avec le traitement immunosuppresseur, pourrait entraîner le retour de la leucémie ...

Durant l'été 2009, Hannah se retrouve en insuffisance rénale. La situation est critique, il faut qu'elle soit transplantée en urgence pour survivre. L'adolescente de 14 ans a entre-temps pris des forces et goûté à la vie à la maison (alors qu’elle avait passé le plus clair de son temps à l’hôpital, depuis toute petite). Elle est prête à accepter une transplantation qui a plus de chances d'aboutir, elle s'accroche au moindre espoir de vivre. Elle a encore des choses à faire. Transplantée durant l’été 2009, elle connaîtra quelques épisodes de retour à l’hôpital.

Et maintenant ... La voici de retour à l'école. Elle prépare un livre, avec sa mère, infirmière en soins intensifs, pour expliquer son choix. Le livre paraîtra en mars 2010, il s'intitule : "Le Choix d'Hannah".